Charte de Brancion

Restes de la demeure ducale de Hugues IV de Bourgogne, occupée entre 1213 et 1272.

The transcription reads:

ou li sien doivent tenir jusque lor graantes soit faiz enterignemant de dites XV mil livres de
tornois. Et totes ces choses a ge faites por le lous et por l'asantemant Henri, segnor de
Branciun, mun fil. Et je et li diz Henriz avuns juré et promis et sumes tenu por noz sairemanz sus
touz noz biens garantir ces choses et que nos ces covenances tendruns en paiz senz aler encontre
por nos ne por autru. Et por ce que ce soit ferme chose et estauble, je et li diz Henriz mes fiz
en avuns balliés le duc ces letres seelees de noz seaux en tesmoignaige. Ce fu fait en l'an
nostre Segnor mil CC L et trois, ou mois de marz.
Translation:

ou les siens doivent les conserver en gage jusqu'à ce que l'engagement pris concernant les quinze milles livres de Tours sus-dites soit définitivement soldé. J'ai pris toutes ces dispositions avec l'accord de mon fils Henri seigneur de Brancion. Moi et le dit Henri avons juré et promis et nous nous sommes engagés d'une part à garantir cela par notre serment pris sur tous nos biens et d'autre part à ne pas rompre ces conditions dans notre intérêt ou celui d'autrui. Et pour que ce soit chose ferme, moi et le dit Henri mon fils avons remis au duc cette charte, scellée de nos sceaux en guise de témoignage de vérité. Ce fut fait en l'an de notre Seigneur mille-deux-cent-cinquante-trois, au mois de mars.

    • tornois (ligne 2 et suivantes)
      Une première recherche de ce mot mène dans Gdf 7, 762 à tornois (adj.) dont le sens est incertain («façonné par un tout?»). Le contexte nous permet d'exclure ce sens de même que cette catégorie grammaticale. On se reportera alors au GdfC tout en étant attentif à l'équivalence graphématique possible mentionnée précédemment par Gdf (o/ou, effectivement très fréquente dans les scriptae de l'ancien français).
      Dans GdfC 10, 791 s. v. tournois adj. «de (la ville de) Tours». On retrouve un élément confirmant l'adéquation de ce sens à l'occurrence de notre texte avec la locution nominale denier tournois "monnaie frappée à Tours". Il est effectivement question d'une monnaie (ici, la livre). Remarquons toutefois que Godefroy entend traiter l'adjectif (comme l'indique la mention de la catégorie grammaticale 'adj.' après l'entrée) mais il donne également des exemples du substantif dans une locution nominale identique à celle de notre texte: livre de tornois «livre valant 20 sous». Le champ consacré à la catégorie grammaticale dans l'article tornois de Godefroy est donc à compléter.

  • companz (ligne 3)
    Il s'agit d'un mot assez difficile à identifier sur la base seule de sa graphie. Effectivement, la recherche de companz dans Gdf renvoie à compains (cas sujet du susbtantif masculin à deux bases compagnon) et qui ne saurait convenir ici autant pour des raisons sémantiques que de catégorie grammaticale; companzne renvoie par ailleurs à rien dans GdfC. Seule une lecture à voix haute (souvent utile pour les textes d'ancien français) aide à faire le rapprochement avec l'équivalent en français moderne comptant dans la locution verbale "payer argent comptant". La recherche en est ensuite clairement facilitée: GdfC 9, 142 renvoie sous comptant à la variante graphique contant(illustrant ainsi les équivalences om/on et an/am voire en). On trouve en effet dans GdfC 9, 172 contant adj. «que l'on compte sur l'heure», y compris la locution nominale de notre texte en denier contant. D'un point de vue phonétique, il doit s'agir ici d'une réduction du groupe consonantique secondaire [mp't] (< computare) à [mp], peu habituelle dans l'ancienne langue (contrairement à l'assimilation à [mt] dans contant [kõm'tãn]).
  • de mon chief (ligne 4)
    La recherche du substantif chief soulève en revanche d'autres difficultés. Si l'on a aucun mal à l'identifier dans les dictionnaires, l'établissement d'un sens convenable en contexte s'avère plus délicat. Gdf 2, 119 s. v. chief enregistre en premier lieu «tête, capitale» et d'autres sens et locutions incompatibles ici (par exemple «bout, fin»). De même dans GdfC 9, 62 (entre autres «sommet, extrêmité» etc.). La recherche donne des résultats similaires dans le Altfranzösische Wörterbuch de Tobler/Lommatzsch. On se reporte alors au Französisches etymologisches Wörterbuch (FEW) de Walther von Wartburg qui englobe le français, l'occitan et l'ensemble des dialectes galloromans dans toute leur extension diachronique. On signalera au passage que la lettre C n'est pas encore traitée dans le Dictionnaire étymologique de l'Ancien Français (DEAF). Dans l'article caput (FEW 2/1, 334 sqq.) on trouve plusieurs éléments intéressants:
    • A la page 336b (b = colonne de droite): «mfr. chief 'personne' (Froissart; Amyot)». Cette mention signifie que le terme est attesté en moyen français (1350-1600) dans le sens plus abstrait de «personne», sens documenté à la fin du 14e siècle (dans les Chroniques de Jean Froissart) et la fin du 16e siècle (dans l'œuvre de Jean-Jacques Amyot). Toutes les abréviations contenues dans le FEW, autant géolinguistiques (par exemple, 'mfr.') que bibliographiques (par exemple, 'Froissart'), sont résolues dans le Complément au Französisches etymologisches Wörterbuch (édition 2010).
    • A la page 334b: «Nfr. de son chef 'sous son autorité, sa responsabilité personnelle' (Seit Scarr)». Cela signifie que cette locution adverbiale est à notre connaissance attestée pour la première fois en français dans l'œuvre de Paul Scarron composée entre 1643 et 1660. Or notre charte prouve que cette locution existe bien avant le 17e siècle dans ce sens là.
      En conclusion, il apparaît que notre charte fournit une attestation bien antérieure de la locution de son ch(i)ef, locution en somme assez banale dans ce type de textes. On pourrait préciser son sens au moyen de la définition suivante: «de ma personne, en tant qu'individu de l'espèce humaine qui fait autorité juridique». Si cette recherche simple montre certes que la locution a échappé à Godefroy, cela souligne surtout le manque de prise en considération de ce genre documentaire au profit de la matière littéraire. Envisagé sous un angle plus positif, le constat présente l'avantage de pouvoir faire des découvertes continuelles dans la description de l'ancienne langue.