Charte de Montréal


Charte de la Côte-d'Or de 1253 par laquelle le duc de Bourgogne exerce une pression déguisées sur Anséric VI de Montréal peu avant l'emprisonnement de celui-ci (A.D. Côte-d'Or B 983) Le document est conservé aux Archives Départementales de la Côte-d'Or sous la cote B983.

Ce sixième exercice présente une charte des Archives départementales de la Côte-d'Or rédigée en septembre 1255. Les lieux mentionnés (Montréal et Châtel-Gérard) se situent à l'est du département de l'Yonne (adjacent au dép. de la Côte-d'Or), près d'Auxerre.
Ce document est également l'un des premiers témoignages de l'écrit français en Bourgogne. Il nomme deux personnages: Anséric, seigneur de Montréal, et Hugues, duc de Bourgogne. Le premier est plus précisément Anséric VI, membre d'une puissante famille alors vassale des ducs de Bourgogne et des comtes de Champagne, et le second est Hugues IV, l'un des plus importants seigneurs de France.

La charte consiste en un contrat établi entre ces deux personnages. Le duc concède temporairement au seigneur de Montréal l'usufruit de la châtellenie de Châtel-Gérard à la condition de pouvoir en reprendre possession à son gré. Anséric s'engage à quitter alors le lieu dans un bref délais.

Derrière l'harmonie qui semble se dégager de cet acte bref simulant l'illusion d'un accord mutuel et la mise à disposition gratuite d'un lieu d'habitation pour le seigneur de Montréal, se trame en réalité la chute d'une famille seigneuriale, chute qui contribuera quelques décennies plus tard à accroître le temporel déjà considérable du duc de Bourgogne. L'Histoire nous apprend qu'en 1255, Anséric de Montréal alors ruiné, se rend coupable de graves méfaits envers le clergé allant jusqu'à l'assassinat d'un chanoine. Il est certain qu'au moment de la rédaction de notre document (au mois de septembre de l'année en cours), Anséric était déjà impliqué dans ces affaires et que l'accord pris en découle pleinement. En notifiant à Anséric qu'il peut être expulsé à tout moment d'un lieu simplement mis à sa disposition, le duc de Bourgogne exerce sur lui une pression importante allant presque jusqu'à l'humiliation. Ce document semble avoir fonction d'épée de Damoclés pouvant s'abattre sur Anséric au cas où celui-ci persisterait dans la voie du crime. La justesse du délais accordé pour quitter les lieux confirme la puissance de la menace. En outre, la garantie d'une escorte censée permettre à Anséric de se replier autre part en cas d'expulsion montre bien que sa sécurité était en cause.

Toujours est-il qu'Anséric n'a bénéficié que d'un répit de courte durée puisque dans les mois qui suivirent, il est dépossédé de tous ses biens par le duc sur l'ordre même du roi Louix IX (Saint Louis). Il est ensuite emprisonné, justement dans la forteresse de Châtel-Gérard, sur laquelle porte notre document, où il résidait jusqu'alors et où il meurt en 1269. Montréal échoit aux ducs de Bourgogne en 1288.

L'écriture autant que la mise en page de ce document sont typiques d'un lieu d'écriture de type professionnel et plus particulièrement d'une chancellerie laïque importante. On a affaire à une cursive assez petite et très soignée qui ne présente pratiquement aucun ornement, mais qui témoigne d'une encre de très bonne qualité. La mise en page se caractérise par une marge égalisée mais mince du côté gauche, des lignes très droites, régulières avec de grands interlignes de même que des espaces entre les mots bien marqués. L'acte a été scellé avec un sceau sur double queue. Les caractéristiques externes du document rendent très vraisemblable que le document émane de la chancellerie du duc de Bourgogne et exclut l'ouvrage d'un scribe isolé. Pourtant, la fin du texte tend à contredire cette hypothèse puisqu'Anséric s'attribue la réalisation de la charte. On lit "je [Anséric de Montréal] en a donees mes letres seelees de mun seel" qui se comprend par "j'ai émis et fait rédiger la présente charte scellée de mon sceau". Cette incohérence entre la forme – univoque – et le contenu, qui l'est tout autant, pourrait s'expliquer par le fait que notre document soit, non pas un original (comme le pense la tradition) mais une copie contemporaine (voire concomittente) réalisée à partir d'un original plus simple émis par un scribe isolé sur l'ordre d'Anséric. Mais il peut tout simplement s'agir d'une illusion qui relève de la communication politique: la charte a bien été rédigée par la chancellerie ducale mais le seigneur déclare en être le responsable. En effet, d'un point de vue pragmatique, il n'est pas anodin qu'Anséric soit le commanditaire concret de cet acte (et non le duc): puisqu'il doit accepter des conditions très contraignantes, son engagement est plus crédible s'il a été formulé par lui-même; en obligeant Anséric à se présenter comme rédacteur de l'acte, le duc de Bourgogne exerce une pression supplémentaire. Et l'on comprend aisément que la chancellerie veuille en conserver une copie, comportant de toute manière comme signe de validation le sceau d'Anséric.